di Gianluca Virgilio
Pour une fois, en conclusion, faisons que la plume à son tour gouverne la main, qu’on en finisse avec la volonté d’affirmer quelque chose en vociférant, en revendiquant, en exigeant l’attention du monde. Libérons la parole de toute fonction utilitaire, de la déférence envers le pouvoir politique, militaire et religieux, de la facile répétition de l’opinion commune ainsi que de la vaine récrimination des insatisfaits, de la rancœur à peine apaisée des déçus, trompés, exclus.
Est-il possible d’écrire un mot sans ces connotations, un mot détaché d’une intention, d’une fin, un mot qui soit une fin en soi, qui refuse d’être un moyen : massue, pistolet, chantage, peur ? Un mot pur ? Et dans le même temps, écrire un mot nécessaire qui soit pareil à un phénomène naturel, à une conséquence logique inattendue, étonnante par sa beauté ou effrayante par sa force, semblable à un destin inévitable et pourtant imprévu ? Est-il possible d’écrire un mot définitif au-delà duquel plus rien ne pourrait exister ou plutôt au-delà duquel pourrait s’ouvrir tout un monde qui nous était toujours resté caché ?
Le mot que nous écrivons, celui que nous lisons, le mot que nous écoutons, celui qui chaque jour se dépose dans les esprits, traverse les corps, le mot qui gouverne les vies et met les hommes en mouvement, est un mot qui asservit et avilit, obsessionnel et tyrannique, orgueilleux et prétentieux, faux et mensonger.
Pour une fois, faisons que l’absence d’opinion, de thèse, de certitude, de vérité, de foi, anime la plume ; que le mot ne dise rien, se relâche, s’abstienne de commentaire, de paraphrase, se détourne de la critique, de la publicité – promotion ou autopromotion, peu importe. Disparaisse le réel et vienne au premier plan le possible, alors oui, tout pourrait arriver…
Qui pourrait être intéressé par un tel mot ? Pas le politique ni l’économiste, le juriste non plus, encore moins le notable, le commerçant, l’industriel, l’artisan, le professeur, le prêtre, il ne pourrait intéresser aucune catégorie, parce que c’est un mot sans rentabilité, c’est un mot aussi inutile qu’un verre perdu ; jusqu’à ce qu’un jour une personne, quelle qu’elle soit, par un hasard qui la laisse stupéfaite, découvre derrière la façade de sa propre position respectable, une chose oubliée que ce mot lui fait voir de façon inattendue : la vie nue.
La vie nue, qu’est-ce-que c’est ? C’est ce que l’on est avant d’exister, l’indistinct avant le distinct, l’existence sans identité, avant toute identité, l’existence soustraite à la technique asservissante quelle qu’elle soit, la vie comme fait primaire irréductible. On peut la percevoir dans les stations balnéaires qui semblent abandonnées l’hiver quand souffle la tramontane, dans les villes à quatre heures du matin quand tout le monde dort, dans les maisons en ruines des campagnes et des centres historiques où les oiseaux font leur nid, où croît le figuier sauvage, sur le bord de la route où poussent les pissenlits, sans voiture pour écraser l’herbe, enfin en tout lieu dont l’homme a retiré sa main prédatrice.
À qui fait cette découverte – et n’importe qui peut la faire pourvu qu’il se débarrasse de l’armure de l’habitude et de l’orgueil – se révèle ce qui a toujours été, ce qui est aujourd’hui le mot nu ; non celui qui s’achète mais celui qui s’acquiert en vivant.
Un jour, tous les mots finiront dans le néant, comme toutes les choses. Alors dans l’indistinct du néant, sur l’immense mer qu’est l’existence dans laquelle tout se perd, continuera à voleter comme un souffle le mot nu, témoignage vivant de la vie nue. Et il n’y aura personne pour en demander le sens.
(traduzione dall’italiano di Annie e Walter Gamet)