di Giorgio Agamben
L’un des mensonges répétés à l’envi comme s’il s’agissait de vérités évidentes, est que la Russie aurait envahi un état souverain indépendant, sans qu’il soit d’aucune manière précisé que le dit état indépendant non seulement ne l’est que depuis 1990, mais avait été jusqu’à cette date partie intégrante, d’abord de l’Empire de Russie (dès 1794, mais entre les XVe et XVIe il était déjà inclus dans le Grand Duché de Moscou) et ensuite de la Russie soviétique. D’ailleurs Gogol, peut-être le plus grand écrivains russophone du XIXe siècle, était ukrainien, lui qui, dans les Veillées du hameau près de Dikanka, a merveilleusement décrit le paysage de la « Petite Russie » – c’était alors le nom de la région – ainsi que les coutumes de ses habitants. Pour être exact, il convient d’ajouter que jusqu’à la fin de la première guerre mondiale, la Galicie, aujourd’hui comprise dans le territoire que nous appelons Ukraine, était la province la plus lointaine de l’Empire austro-hongrois (l’un des écrivains majeurs de langue allemande du XXe, Joseh Roth, est né dans la ville ukrainienne de Brody).
Il est essentiel de garder à l’esprit que les frontières de la République ukrainienne comme nous la nommons depuis 1990 coïncident exactement avec celles de la République socialiste soviétique ukrainienne, et qu’elles n’avaient pu avoir aucun fondement antérieur dans les incessantes redéfinitions du territoire entre Polonais, Russes, Autrichiens et Ottomans qui avaient eu lieu dans la région. Pour paradoxal que cela puisse paraître, l’état ukrainien n’a d’identité que grâce à cette République socialiste soviétique ukrainienne à laquelle il a succédé. Quant à la population qui vivait sur ce territoire, c’était un ensemble bigarré constitué de descendants de cosaques arrivés en masse au XVe siècle, mais aussi de Polonais, de Russes, de Juifs (plus de la moitié de la population dans plusieurs villes avant l’extermination), de Tziganes, de Roumains, de Hutsuls (qui formèrent entre 1918 et 1919 une république indépendante de courte durée).
Il est parfaitement légitime d’imaginer qu’aux yeux d’un Russe, la proclamation de l’indépendance de l’Ukraine puisse produire sensiblement le même effet qu’une éventuelle déclaration d’indépendance de la Sicile chez un Italien (il ne s’agit pas d’une hypothèse extravagante, car n’oublions pas qu’en 1945 le Mouvement pour l’indépendance de la Sicile, dirigé par Finocchiaro Aprile, lutta pour l’indépendance de l’île, et que les combats menés contre la police firent des dizaines de morts). Sans parler de ce qu’il se passerait si un état américain se déclarait indépendant des USA (auxquels il appartient depuis bien moins longtemps que l’Ukraine à la Russie) et contractait une alliance avec la Russie.
Quant à la légitimité démocratique de l’actuelle république d’Ukraine, chacun sait que les trente ans de son histoire sont entachés d’élections invalidées pour fraude, de guerres civiles, de coups d’état plus ou moins cachés, au point qu’en mars 2016, Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne en vint à déclarer que pour être en mesure de satisfaire aux exigences des critères de légitimité qui lui permettraient d’entrer dans l’Union, l’Ukraine aurait au minimum besoin de vingt-cinq années.
août 2024
[Traduzione di Annie Gamet di Giorgio Agamben, Qualche notizia sull’Ucraina, in Una voce. Rubrica di Giorgio Agamben, Quodlibet]