Migration

De retour dans la classe, j’ai demandé à Adolfo (Adolfo est là, au dernier rang, toujours dans la lune, au point que par erreur il m’arrive parfois de l’appeler Astolfo : « Qu’en penses-tu, toi, de cette histoire ?

–  Oh Monsieur, qu’est-ce qu’ils endurent ! » m’a-t-il répondu, ajoutant : « Heureusement que pour nous tout va bien ! ».

Tandis qu’au premier rang Angelica faisait la grimace, j’ai remis Torquato Accetto sur le tapis, rappelant ce que nous avions étudié à propos de l’honnête dissimulation. : « Faisons des mots d’Accetto notre méthode critique et voyons un peu si ce film dit les choses exactement comme elles sont, ou bien s’il ‘dissimule’ la réalité ».

C’est ainsi que nous nous sommes mis à discuter de ces choses que le metteur en scène Alessandro Garrone aurait « dissimilées ». Il en est résulté que le film ignore la question du néocolonialisme, et même qu’il occulte totalement les responsabilités européennes historiques et actuelles concernant l’état de misère, de corruption et de violence dans lequel s’enfoncent les sociétés africaines. Les deux jeunes gens qui recherchent le succès (mythe plus occidental qu’africain) ont fait oublier aux spectateurs tous ceux qui émigrent par désespoir, pour fuir la faim, les persécutions, la guerre, etc. Rien de tout cela dans le film. Ces deux jeunes partent pour qu’un jour le Blanc puisse demander un autographe au Noir devenu joueur de foot, chanteur ou autre. Et qu’importe si dans la réalité la plupart des migrants finissent dans un camp de détention ou sont renvoyés dans leur pays d’origine, à moins que la maffia ne les recrute comme esclaves à son service dans les champs de tomates de la Capitanate ! Garrone oublie tout cela, ou plutôt le « dissimule », je ne sais avec quel degré d’honnêteté, et, faisant appel à l’émotion des spectateurs, il procède de la manière la plus efficace : la migrante qui n’en peut plus de marcher dans les dunes et meurt d’épuisement dans le désert, le malheureux que le bourreau libyen torture, la femme enceinte qui risque de perdre son enfant à cause du mouvement des vagues, etc., sont des scènes qui, toutes, touchent la corde sensible en chacun de nous. Le niveau de l’émotion s’élève, celui de l’intelligence critique s’abaisse. Le but, la « dissimulation » (honnête?), est atteint.

Les élèves me regardent, silencieux, j’ai l’impression de les avoir tous convaincus ; sauf qu’à la fin du cours, Isabelle intervient : « Oui, vous avez raison, Monsieur, mais ces Africains quand-même, qu’est-ce qu’ils ont enduré ! ».

[Traduzione di Annie Gamet]

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