Giannone met l’accent sur l’originalité et l’excentricité du poète de Lucugnano, qui fit le choix d’une poésie difficile, chargée de références littéraires, philosophiques, religieuses et même ésotériques. Ses premières compositions poétiques à l’étranger sont marquées par son antipositivisme et par la conviction de la défaite de la Raison : Comi conçoit la poésie comme une quête du mystère, un instrument d’élévation et de conquête. Il se fait remarquer pour ses jugements très négatifs sur la poésie italienne du XXe siècle, notamment sa Lettera a Giovanni Papini poeta (1920), qui exprime son rejet des poésies de l’écrivain florentin. Ensuite ses compositions poétiques romaines se signalent par le refus des valeurs sociales et la valorisation de l’intériorité, d’une dimension universelle et métahistorique. Constamment à la recherche de spiritualité, il est d’abord attiré par l’esprit de la nature et le panthéisme, avant son retour au catholicisme en 1933 ; il rejette alors le lyrisme en tant qu’expression des angoisses individuelles, dans la conviction que la poésie doit être une activité « totalisante », et que le poète a la mission quasi sacerdotale de guider l’humanité vers le monde spirituel. La « parola-Verbo » permet à ce dernier, inspiré par la Grâce, de continuer l’œuvre du Christ, en offrant aux hommes la possibilité de découvrir la divinité présente en chacun et de préparer la rédemption. Par la suite, Comi développa le concept de « catholicisme aristocratique » et se rapprocha des intellectuels fascistes, en alternant écriture poétique et proses de nature politique, philosophique et morale (Aristocratie du catholicisme, 1937).
Après son retour à Lucugnano en 1946, il publia 44 numéros de la revue L’Albero (1949-1966), qui allait courageusement à contre-courant des idéologies dominantes ; inspirée par les revues florentines des années 1930, accueillant des compositions poétiques de Luzi, Ungaretti, Caproni, en pleine saison néoréaliste L’Albero s’intéressait aux problèmes existentiels et religieux.
Comi fit publier ses propres œuvres par la maison d’édition fondée par lui-même (Edizioni de L’Albero). Spirito d’Armonia (1912-1952) comprend 107 compositions sélectionnées dans ses recueils précédents, et forme un résumé de son itinéraire poétique ; le volume, qui remporta en 1954 le prix Chianciano de la poésie, célèbre la nature comme manifestation de la puissance divine. En 1958 sort Canto per Eva, formé de quatre sections, dont la réception fut mitigée (le recueil fut qualifié de « forma di stilnovismo novecentesco » par Donato Valli). Les vers élégants et raffinés de Comi esquissent une figure féminine qui, tout en conservant un caractère sensuel et terrestre, est source de salut pour le poète et médiatrice pour la connaissance de Dieu. Le dernier recueil, Fra lacrime e preghiere (1958-1965), publié à un moment rendu très difficile par sa situation économique précaire et par la dégradation de sa santé, revient aux valeurs spirituelles et abandonne toute sensualité. Le livre s’achève par la composition Cristo, inspirée par la prière à la Vierge du dernier chant du Paradis de Dante, construite comme un hymne se terminant par un abandon plein et total dans la divinité.
L’œuvre de ce poète anachronique, qualifié de « lettré retardataire » par Pasolini, est intéressante justement pour son inactualité, qui la place dans une « extra-territorialité ». En équilibre entre le Mezzogiorno et l’Europe, les mouvements littéraires de dimension européenne et sa marginalité au sein de la poésie italienne, Comi a su sortir des voies toutes tracées pour chercher une forme d’absolu, loin de la « prose du monde ». Sa poésie hors du temps mérite d’être redécouverte grâce à cette anthologie qui réunit les différentes facettes de Comi poète orphique, religieux et aussi grand poète de l’Amour.
[Recensione a Girolamo Comi, Poesie, Antonio Lucio Giannone et Simone Giorgino (éd.), Neviano (Lecce), Musicaos Editore, 2019, in “Transalpina”, Études italiennes”, Université de Caen, n. 23, 2020, pp. 208-210]