Je parle ici des correspondances d’autrefois, lettres manuscrites rédigées dans la solitude propice au rapprochement par la pensée, mises sous enveloppes timbrées et confiées aux bons soins de la poste qui hélas, prenait tout son temps pour les acheminer, plis attendus et lus avec avidité, puis relus calmement avant d’être serrés dans le tiroir fermé à clé du secrétaire censé les protéger de toute curiosité insupportable.
Irremplaçables correspondances d’écrivains dont nous connaissons de nombreux exemples du XVIIIe au XXe siècle ; documents biographiques à la saveur originale, où l’auteur laisse filtrer sa lumière personnelle, intime. Elles ne nous sont pas directement adressées, mais la distance du temps exclut tout voyeurisme, ne reste que le désir de rapprochement avec la vérité d’une conscience qui se livre librement.
Improbables correspondances qui dans des circonstances extrêmes de totale inhumanité maintiennent les liens humains entre des êtres qui s’aiment, qui tentent de faire face à l’absurdité de leur destin. Je pense particulièrement aux soldats soumis à l’horreur des tranchées pendant la première guerre mondiale : les mots contre les morts massives. Ces lettres-là non plus ne nous étaient pas destinées, certaines ont été publiées comme documents historiques, mais quelle émouvante plongée dans les profondeurs de l’âme humaine… (Poilus, les lettres interdites)
Qu’en est-il aujourd’hui, à l’époque d’internet, du courrier électronique, du téléphone portable et des réseaux qui mettent chacun, immédiatement et sans effort, en relation avec le monde ? Dire à une jeune fille moderne que dès l’adolescence on a aimé entretenir une correspondance suivie avec plusieurs personnes, à vrai dire seul moyen de rester en contact avant l’accès facile aux nouveaux moyens de communication, suscite sa totale incompréhension. Les anciennes générations aussi optent pour l’usage prolongé du téléphone, qui permet de converser naturellement à distance, de faire entendre la voix, de combler l’absence et la solitude.
Alors qui pourrait encore souhaiter entretenir une correspondance écrite avec les êtres aimés ? Suffit-il que celle-ci bénéficie des nouvelles technologies – la lettre manuscrite d’autrefois, si longue à arriver à destination, remplacée par le courriel tapé sur le clavier, certes impersonnel, mais transmis à la vitesse de l’éclair – pour séduire encore ? J’aime à croire que nombre d’entre nous n’ont pas abandonné cette pratique, conscients de la puissance d’évocation du texte écrit. S’apprêter à rédiger une lettre, c’est faire le vide autour de soi pour être totalement à l’autre, tâcher de le rejoindre dans l’expression juste de ce qui constitue les divers aspects de la vie, choisir les mots les plus appropriés, non pas au détriment de la spontanéité ni par goût de la forme, mais pour leur capacité à s’ouvrir sur des pensées nouvelles, celles qui dans le silence de l’écriture puis de la lecture et relecture sauront s’épanouir librement et rendre douce la solitude.
1er août 2023