Tra realtà storica e finzione letteraria. Studi su Sigismondo Castromediano

Une particularité intéressante du volume, tient au fait qu’il ne s’agit pas de la publication des actes d’un colloque (même si certains textes émanent d’un colloque tenu en 2012[3]), mais bien d’un recueil de contributions variées et relativement autonomes, qui trouvent néanmoins leur unité dans le fil conducteur suggéré par les sphères contextuelles du titre de l’ouvrage : Tra realtà storica e finzione letteraria. Si la réalité y est logiquement axée sur le XIXe siècle et la période du Risorgimento, la fiction, pour sa part, se tourne également vers des œuvres contemporaines, avec l’étude du roman Noi credevamo d’Anna Banti, et celle du film éponyme de Mario Martone.

Le volume est composé de onze contributions, précédées d’une introduction éclairante  d’Antonio Lucio Giannone, directeur de la publication et Président du Centro Studi “Sigismondo Castromediano e Gino Rizzo”, centre de recherche à l’origine du livre. Au fil des articles, la personalité et l’œuvre de Castromediano sont abordées sous divers angles : historique, culturel, politique, littéraire, biographique, avec une attention dominante sinon constante à ses mémoires. Carceri e galere politiche, en effet, constitue non seulement un témoignage précieux sur l’expérience vécue par l’auteur durant ses années de captivité, mais peut être plus encore un hommage rendu à la souffrance de ses nombreux compagnons d’infortune. C’est précisément ce drame humain que l’on trouve au centre des problématiques abordées par les divers contributeurs.

Ainsi, dans l’étude qui ouvre le recueil, Matilde Dillon-Wanke montre d’abord, en s’appuyant sur l’exemple des Ricordanze della mia vita de Luigi Settembrini, comment les Memorie de Sigismondo reposent sur un subtil mais fragile équilibre entre la tentation de faire de cette autobiographie un classique récit de soi, et la volonté affirmée de s’en tenir au témoignage d’une expérience collective : celle de tous les prisonniers qui partageaient son sort. Dans la deuxième partie de son étude, Dillon-Wanke confronte l’autobiographie de Castromediano avec le roman contemporain Noi credevamo, en montrant comment – mutatis mutandis – l’auteure, Anna Banti, a pu trouver “en filigrane”, dans Carceri e galere, les lignes directrices de son livre.

À partir de l’analyse de ce même roman, Yannick Gouchan illustre un important paradoxe du Risorgimento : le décalage entre les idéaux des patriotes méridionaux et leur déception au lendemain de l’Unité. L’auteur explique que Noi credevamo, sans être un manifeste contre le Risorgimento, n’en est pas moins le livre des “déçus” du Risorgimento. Le chercheur français observe à quel point la figure de Castromediano est singulièrement présente dans les pages du roman, et comment, malgré les divergences politiques qui le séparent du “je” narrateur, les deux hommes se lient d’amitié et se soutiennent mutuellement dans les affres du bagne. Leur amitié dépasse leurs divergences politiques, au point que la première personne narrante évolue en une instance plurielle (noi credevamo).

L’hommage de Castromediano à ses compagnons de captivité est aussi au centre de la contribution du chercheur américain Steven Soper. L’étude montre, entre autres, comment, au fil de ses années de bagne, Sigismondo a en quelque sorte gravé, d’abord dans sa mémoire, et par la suite dans ses pages, les quelque cent-cinquante noms de ses compagnons de détention. Il ne s’est pourtant pas contenté de les lister à l’instar d’un monument précurseur des mémoriaux du XXe siècle, il a aussi rapporté leurs “histoires”, dont les épilogues, parfois heureux mais souvent dramatiques, illustrent la terrible oppression du régime bourbon dont les patriotes méridionaux ont été les victimes.

Un autre chercheur américain, Charles Klopp, confronte l’œuvre autobiographique de Castromediano avec celles de divers écrivains mémorialistes du Risorgimento. L’analyse révèle, par exemple, qu’à la différence de Silvio Pellico, l’écriture autobiographique de Castromediano n’est pas particulièrement axée sur l’intériorité, l’exploration de l’âme. Elle témoigne au contraire de la réalité sociale et humaine avec laquelle l’auteur doit cohabiter dans ses divers lieux et séjours de détention. Dans cette promiscuité, il côtoie des criminels de tout poil, dont des membres de la camorra, déjà très présente, à l’époque, dans les bagnes du sud de la péninsule, une camorra qui, de façon souterraine, contrôle souvent l’univers carcéral. Mais même dans ces conditions très dures, qui eussent été fatales à beaucoup, Sigismondo Castromediano parvient, par sa droiture et son intégrité, à obtenir qu’on le respecte et à conserver sa dignité d’homme.

Les informations et observations consacrées à la camorra, dans les pages de l’autobiographie de Castromediano, sont plus particulièrement l’objet d’une étude étoffée de Marcella Marmo. L’auteure, en véritable spécialiste de ce phénomène très enraciné dans les prisons du Royaume des Deux-Siciles, et en particulier au bagne de Procida, consacre son essai à la lecture attentive des multiples références et descriptions qu’elle glane au fil des pages de Castromediano. Le Memorie se révèlent, de ce fait, comme une remarquable source d’informations et de connaissances sur la présence et le rôle de l’entreprise mafieuse dans les prisons méridionales du XIXe siècle, son organisation, son mode de fonctionnement, ses méthodes de corruption et d’extorsion, son emprise violente et tyrannique.

L’universitaire français Laurent Scotto d’Ardino se penche, pour sa part, sur l’adaptation cinématographique du roman Noi credevamo, réalisée en 2011 par le cinéaste napolitain Mario Martone, à l’occasion des cent-cinquante ans de l’Unité italienne. Similitudes et différences guident son étude à travers le prisme de la représentation de Sigismondo, suivi pas à pas dans le découpage du film, avec une attention particulière à la séquence finale, qui dénote une différence significative par rapport au roman.

Marco Sirtori inscrit son étude dans la sphère critique littéraire en s’intéressant aux écrits de jeunesse de Castromediano, ceux qui ont été rédigés avant son arrestation et son emprisonnement. Nous sommes alors ramenés dans la première moitié du XIXe siècle, ce qui permet à Sirtori de mettre en perspective les textes de l’écrivain avec les œuvres d’autres auteurs de la même période, et d’en tirer des enseignements, en particulier sur les genres fréquentés par Castromediano.

Axé, en revanche, sur l’histoire, l’ample essai de Roberto Martucci est une lecture approfondie des événements, des circonstances, des décisions, des personnages qui ont conduit à l’arrestation de Castromediano. En observateur minutieux, l’historien analyse la condamnation de l’homme engagé, à la lumière du contexte politique et des institutions qui caractérisaient le Royaume des Deux-Siciles, de Naples au Salento, durant l’année 1848.

Avec une perspective historique, encore, Aldo Ravalli situe son étude dans un arc temporel qui va de l’emprisonnement de Castromediano à son exil londonien. C’est l’occasion, pour l’historien, d’élargir le champ de la recherche à l’Europe – l’Angleterre principalement, mais aussi l’Autriche, avec les conséquences du traité de Vienne pour le Risorgimento –, avant de recentrer son propos sur le rôle et l’influence des patriotes italiens exilés à Londres, dans la position adoptée par l’Angleterre en faveur de l’unité de l’Italie, sous la conduite du Piémont.

Regroupons, pour terminer, les contributions de Raffaele Giglio et de Bruno Pellegrino, dans la mesure où elles sont toutes deux – et seules dans le volume – consacrées aux actes du “Convegno nazionale di studi Sigismondo Castromediano: il patriota, lo scrittore, il promotore di cultura” (voir plus haut, note 2). Mais les deux études ne se confondent pas, car elles sillonnent des territoires critiques différents. Raffaele Giglio recense et commente les essais qui relèvent de l’approche littéraire, en montrant comment, ensemble, ils ouvrent la voie à l’édition future des œuvres complètes de Castromediano. Alors que Bruno Pellegrino passe en revue et analyse les communications qui ressortissent au seul domaine de l’histoire, et où l’étude des archives et des correspondances épistolaires joue un rôle déterminant pour cerner la véritable dimension historique du personnage, celle qui l’inscrit de plein droit dans l’histoire nationale du Risorgimento.

Il revient, en somme, au riche volume Tra realtà storica e finzione letteraria. Studi su Sigismondo Castromediano, le mérite essentiel d’aider à mieux connaître par ses approfondissements – et d’actualiser par ses rapprochements avec la littérature et le cinéma contemporains –, la vie, l’œuvre et l’engagement d’un acteur méconnu du Risorgimento. Pendant de nombreuses années, le nom de Sigismondo Castromediano est resté lié au seul Risorgimento méridional, quand il n’a pas tout bonnement été condamné, par “damnatio memoriae”, à l’oubli post mortem. Mais aujourd’hui, les initiatives culturelles du Centro Studi “Sigismondo Castromediano e Gino Rizzo” permettent de redécouvrir, avec le nom du personnage, la grandeur du patriote, de l’écrivain et du “promoteur de culture”. C’était déjà le cas avec le colloque organisé en 2012, pour le bicentenaire de sa naissance et les cent-cinquante ans de l’Unité italienne ; et, bien sûr, ça l’est de nouveau en 2019, avec l’édition du très bel ouvrage qui fait l’objet de ce compte rendu.

[Antonio Lucio Giannone (a cura di), Tra realtà storica e finzione letteraria. Studi su Sigismondo Castromediano, Lecce, Pensa MultiMedia Editore, 2019]

[In “Italies”, n. 24, 2020, pp. 262-266]


[1] Anna Banti, Noi credevamo, Milano, Mondadori, 1967.

[2] Mario Martone, Noi credevamo, 2011.

[3] Sigismondo Castromediano: il patriota, lo scrittore, il promotore di cultura, Cavallino, 30 novembre-1 dicembre 2012.

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