L’Armée du surf. La révolte des étudiants et ses causes véritables 7. « Laissez-nous tomber ! » L’armée du surf aux prises avec les requins

On dit « jeunes » pour ne pas dire ratés, en définitive, et on le reste au moins jusqu’à ce qu’on se résigne à vivre dans les décombres du mariage, du travail salarié, de la légalité. C’est seulement à ce stade qu’on devient adultes, sujets crédibles, corps électoral, citoyens à part entière. Et, en vérité, de plus en plus souvent dans les quartiers et dans les lieux qu’ils sont nombreux à fréquenter, les moins de trente ans, qui s’octroient le statut de clandestins, font l’objet de l’attention des indigènes de plus de deux générations sous la forme de retraites aux flambeaux contre le tapage, de comités anti-bouteilles, de pétitions contre les dégradations et de raids de policiers soumettant les malchanceux à des prélèvements d’échantillons. C’est toujours la même invitation qui est lancée : « Allez travailler ! ». Et penser qu’en général, ce sont les mêmes qui encaissent les loyers en fin de mois et qui, peut-être grâce à cela, n’ont plus besoin d’aller travailler, eux !

Cet âge infortuné et si peu prometteur se prolonge le plus possible : au lieu de tout faire pour l’arrêter, on le laisse se répandre comme un marécage qui engloutit les années et maintient des couches de plus en plus nombreuses de population, de l’adolescence à l’âge plus qu’adulte, dans la condition frustrante de mineurs.

En Italie, on est « jeunes » ad libitum : les relevés statistiques effectués sur les jeunes concernent les hommes et les femmes de 15 à 34 ans. Dans le reste du monde, cette tranche d’âge va de 15 à 24 ans. Une anomalie tout italienne, justement, qui en dit long sur le phénomène et la manière de le traiter.

Les contours de cette plaie que sont « les jeunes » s’étendent, s’étirent, au besoin s’élargissent pour en recouvrir une plus grande encore qui dépasse de loin les frontières générationnelles.

Cet âge, en fait, est loin de correspondre aux données de l’état civil et de proposer une photographie de l’esprit d’une génération ; il est révélateur de l’escroquerie qui consiste à se décharger de la responsabilité de conditions de vie totalement inacceptables sur les individus qui la subissent, les étudiants, et à réintégrer dans la catégorie des « jeunes » tous ces types – précaires et hybrides de la métropole – eux aussi exclus de l’ancien État social.

On pense pouvoir faire n’importe quelle expérience sur les « jeunes », au fond ils sont suffisamment élastiques pour pouvoir en supporter tant et plus. Ils peuvent passer une licence en collectionnant les emprunts comme des bons d’achat pour une batterie de casseroles, ils peuvent partager leur temps entre les séries sans fin de cours quotidiens et l’hypertrophie bureaucratique des secrétariats universitaires qui n’en ont jamais assez des queues, des formulaires et des certificats, ils peuvent risquer l’arrestation pour deux joints en poche, payer 400 euros pour un lit, faire le tour de dix hôpitaux avant d’obtenir la pilule du lendemain, faire l’amour sans lit, ou mieux, dans le lit des parents ou celui de la chambre triple où ils logent, il suffit d’organiser les tours !

Bref, ils peuvent apprendre à vivre en survivant. Et en cela, les étudiants ont vraiment un grand talent ! Ils ont appris à se divertir sans sous, à étudier sans plus en avoir le temps, à travailler pour subvenir à leurs besoins, mais aussi à s’entraider, à être solidaires, à s’échanger des vêtements, des livres, de la musique, des conseils, des informations, des tuyaux, de l’affection.

Et pourtant, ils refusent l’éthique du sacrifice, les conditions misérables dans lesquelles ils vivent ne les ont pas réduits au cynisme, la compétitivité n’est pas parvenue à s’insinuer dans leur tête, l’autisme idiot de ceux qui s’endettent n’a pas entamé leur espace d’autonomie, le souffle de la crise ne les a pas attristés.Le plan a partiellement réussi, encore un effort pour le faire échouer !

Il suffirait de reconnaître que, s’il y a quelque chose d’improductif, ce n’est pas exactement le nombre des actions accomplies par les étudiants – en matière de formation, de travail, de relations, d’intérêt général – ; elles produisent toujours de la valeur, de la socialité, de la coopération, de l’échange, du savoir. L’activité improductive, c’est celle qui limite l’autonomie et qui, dans les rues des villes, exerce de manière trop zélée, un contrôle sur les formes de vie, sur le libre choix des expériences du corps, sur l’organisation du temps et du travail. Il faudrait dénoncer comme parasitaire l’activité de contrôle tant ordinaire qu’arbitraire à laquelle les étudiants sont soumis, il faudrait en décider la complète inutilité, si ce n’est à des fins de chantage, manifestement. Il faudrait s’en libérer pour de bon, s’en débarrasser, et aussi de leurs crayons rouges, de leurs sifflets, de leurs palettes, des tests toxicologiques, des éthylomètres, des images pieuses et des madones. Tôt ou tard, il faudra aussi leur dire : « Laissez-nous tomber ! Nous avons autre chose à faire ».

Pour apprendre à surfer, tu dois trouver des compagnons qui te repêchent quand tu coules, qui t’aident à surmonter la peur, jusqu’à ce que tu réussisses à tenir en équilibre. Après, c’est la planche seule qui permet au surfeur d’affronter la vague. Le corps participe avec tous les muscles, avec tous les sens, avec l’instinct, la technique. On continue à tomber, mais on apprend à nager. Le danger, ce n’est pas la vague, ce sont les requins.

[Traduction de l’italien par Annie e Walter Gamet]

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