di Gianluca Virgilio
Il y a quelques années, à l’occasion d’un cours donné à des lycéens (Youtube barbero storia e memoria), Alessandro Barbero, brillant historien et vulgarisateur, a clarifié la différence entre mémoire et histoire, une différence qu’il convient d’avoir toujours à l’esprit quand s’annoncent quelques célébrations comme la Journée de la Mémoire (27 janvier) ou la journée des « Foibe » (19 février). Disons-le clairement : depuis l’école primaire, chaque année, les jeunes qui entrent au lycée ont entendu parler de ces événements survenus il y a si longtemps, et ils en ont par-dessus la tête de ces continuelles répétitions. Qu’est-ce qui ne va pas dans cet épuisant retour des mêmes images – amas de cadavres dans les camps de concentration nazis, extraction de corps des gouffres karstiques de Dalmatie – accompagnées des mêmes commentaires de quelques survivants assidus, plus rares aujourd’hui, et de l’habituel défilé des politiques et historiens complaisants qui invitent à ne pas oublier ? Pour le comprendre il faut bien avoir en tête que la mémoire est toujours individuelle et partiale, et qu’elle diffère substantiellement de l’histoire qui, elle, au contraire, est une recherche constante, selon l’étymologie gréco-latine, une recherche qui se nourrit de tous les points de vue, dépasse la mémoire et la considère en fonction des critères de vérité qu’elle s’est fixés. Les jeunes auraient besoin qu’on leur enseigne l’histoire, et non qu’on leur impose, par la loi, la mémoire d’un événement particulier, dont inévitablement les causes et le contexte leur échappent.
Sur ce sujet, je propose de lire : Le passé, modes d’emploi. Histoire, mémoire, politique, Paris, La Fabrique, 2005, (traduction italienne en 2006), écrit par Enzo Traverso, professeur de Sciences politiques à l’université de Picardie Jules-Verne. Son mérite est d’avoir fait le point sur l’usage politique de la mémoire qui déforme la vérité historique à des fins inavouées et trompeuses. À travers l’industrie culturelle, les musées, les commémorations, les prétendus programmes éducatifs, la mémoire remplit une fonction apologétique, comme par exemple lorsqu’elle veut conserver le souvenir des totalitarismes pour légitimer l’ordre occidental, lorsqu’elle absout les Israéliens de l’occupation des territoires palestiniens pour qu’on n’assiste pas à un nouvel Holocauste, etc. Tout compte fait, si nous avons besoin de mémoire, il devra s’agir d’une mémoire critique, pas d’une « religion civile » avec tous ses dogmes ; et mémoire critique signifie déjà histoire, ou vérité ou au moins tension continue vers la vérité.
Dans la vidéo mentionnée ci-dessus, Alessandro Barbero donne un superbe exemple pour illustrer à quoi l’on s’expose quand on manipule la mémoire à des fins politiques. Il raconte la séquence finale du film médiocre (oh, sacrilège !) La vie est belle de Roberto Benigni, où l’on voit un char américain libérer le camp de concentration d’Auschwitz. Assurément, les historiens consultés par Benigni ont dû l’avertir que le camp a été libéré par les soviétiques, mais Benigni a préféré hisser le drapeau américain. Là est toute la différence entre histoire et mémoire. Vous trouvez que c’est peu ?
27 janvier 2023
[Traduzione di Annie Gamet]