di Gianluca Virgilio
As-tu déjà remarqué, cher lecteur, qu’autour de nous il y a toujours plus de non-choses que de choses ? Les choses, ce sont les objets, les lieux avec lesquels nous sommes en contact chaque jour, les non-choses sont les informations qui nous atteignent de toutes parts et nous submergent jusqu’à nous faire oublier les choses et nous faire vivre dans une infosphère bien peu réelle, exclusivement virtuelle à vrai dire (ce qui n’empêche pas que ses effets sur nous soient réels). Les choses ne nous importent plus, semble-t-il, la fidélité à leur égard est un souvenir du passé, même nos affections familières sont de plus en plus souvent remises en question et considérées comme des liens insupportables car le consumérisme nous a habitués à tout consommer, y compris les liens les plus intimes. Autrefois un costume habillait au moins deux générations et durait quarante ans, aujourd’hui nous l’abandonnons au bout d’une saison, car la mode indique qu’il est temps de changer et nous la suivons sans hésiter. Nous consommons, nous ne possédons pas, nous consommons même nos vies, nous sommes aliénés au point d’ignorer que nous avons perdu tout contrôle même sur nous-mêmes, possédés par les non-choses qui pullulent dans le monde. Nous avons renoncé à l’usage de nos mains qui pendant des millénaires nous ont permis de transformer le monde des choses, et nous nous contentons de l’usage des doigts pour taper frénétiquement sur les touches de notre smartphone à la recherche des non-choses. Nous ne changeons pas le monde, nous en retenons plutôt ce qui peut nous procurer le plaisir passager dont nous n’arrivons pas à nous passer, tel une drogue.
Pour savoir ce que nous avons perdu et le peu que nous avons gagné dans ce changement d’époque, au cours duquel s’opère une véritable transformation anthropologique, je recommande la lecture du petit essai de Byung-Chul Han, La fin des choses : Bouleversements du monde de la vie [« Undinge. Umbrüche der Lebenswelt »] (trad. de l’allemand par Olivier Mannoni), Arles, Actes Sud, 2022, 144 p. Ce professeur de philosophie et d’études culturelles à l’Université des Arts de Berlin, né en 1959, critique du néolibéralisme, raconte avoir acquis, et restauré, un vieux juke-box des années cinquante ; depuis, après avoir introduit la pièce de monnaie, il est heureux d’en écouter le son « concret » et « corporel ». Nous avons besoin de cela, dit-il, de corporéité et non de virtualité, car cette dernière, à la longue, nous rend déprimés.
En lisant le livre, j’ai pensé à une dame de ma connaissance qui, il y a quelques temps, lassée des bibelots accumulés depuis si longtemps sur la commode de son salon, souvenirs de voyages, bonbonnières et autres babioles, voulut un beau jour s’en débarrasser et les remit au gérant d’un dépôt-vente. Mais deux jours plus tard, prise de nostalgie, elle voulut récupérer ses choses. Elle avait signé un contrat, elle fut obligée de les racheter. C’étaient ses choses, elle ne pouvait pas y renoncer sans renoncer à elle-même.
Si de telles personnes existent, me suis-je dit, c’est peut-être que les non-choses n’ont pas encore eu le dessus. Espérons que c’est bien cela !
[Traduzione di Annie Gamet di Nuove segnalazioni bibliografiche 5. Le non cose,
“Il Galatino” anno LV n. 18 – 11 novembre 2022, p. 6 ] . Poi in www.iuncturae.eu]