Insécurité. J’entre à la poste pour payer mes impôts. Je regarde autour de moi et me vient la pensée que, soudain, quelqu’un pourrait s’introduire dans la grande salle d’attente, armé jusqu’aux dents, et faire un carnage. C’est l’effet des carnages quotidiens dont nous informe la télévision, qui a ainsi le pouvoir de changer nos sensations, nos émotions, notre façon de considérer les autres et de nous situer parmi eux.
Rixe sur la plage, à Lido Conchiglie, il y a quarante ans. Imaginez une matinée ensoleillée du mois d’août, la plage brûlante et bondée, les uns prenant leur bain de soleil, les autres dans l’eau. Soudain des hurlements surgissent d’un point précis de la plage, pas loin de moi, le sable est projeté en l’air par une foule d’hommes de tous âges qui se ruent vers l’endroit d’où viennent les hurlements, maintenant amplifiés de manière démesurée. Dans le même temps, c’est un sauve-qui-peut général de tous ceux qui veulent échapper à la mêlée, des femmes traînent leurs enfants plus loin, d’autres retiennent leurs hommes. Mais déjà s’offre un spectacle à couper le souffle : une centaine d’hommes en maillot de bain se bousculent les uns les autres comme dans une partie de rugby, jouant des pieds et des poings. Leur masse homogène se déplace sur le sable, renversant parasols et chaises longues, seaux et pelles, sacs et toiles de plage. L’événement n’a sans doute pas duré longtemps mais cela m’a paru une éternité. En moins de deux minutes je pense, tout était terminé : les femmes avaient eu le dessus ; dans l’intervalle, cette partie de la plage s’était vidée. La police arriva une demi-heure après, interrogea les baigneurs, mais personne ne raconta précisément le motif qui avait déclenché la rixe. Moi, le motif, je le connais, c’est le même que celui de la guerre de Troie, une femme convoitée, il me semble donc juste et bon que la rixe, commencée pour une femme trouve une fin apaisée grâce aux femmes.
Le sens commun de l’antique : un dix-huitième anniversaire, la fête dans un moulin à huile du XXVIIe siècle, véritable nef de cinquante mètres de long sur quinze de large, avec une voûte en berceau dont les poussées sont contrebutées par les murs latéraux épais de deux mètres. Lumière tamisée et musique à plein volume : Michael Jackson et Madonna. Tandis que tout le monde danse, je vois errer entre les murailles les fantômes du passé, lu nachiru, avec la ciurma des trappatori aux corps enduits d’huile, les ânes aveugles à la peine autour des grosses meules de pierre, etc. Je me dis que fêter les dix-huit ans d’un adolescent dans un moulin à huile restauré a quelque chose de rassurant pour nous, les modernes ; le fait d’inscrire une fête dans un lieu ancien procure l’illusion de participer à une continuité historique, de ne pas être isolé dans ce monde, mais d’être une partie d’un tout qui se déplie dans le temps : l’illusion de venir de loin avec l’ambition d’aller loin. Le côté célébration s’accordait magnifiquement avec le lieu de la fête. Je l’ai compris à ce moment-là, le seul sens de l’antique que les modernes parviennent à concevoir est celui-ci, l’antique comme temps lointain, sans grande précision chronologique, qui cependant reste à la base de notre vie, puisqu’il lui donne un sens, une perspective, une signification, une certaine importance.
[Traduzione di Annie Gamet]