di Gianluca Virgilio
Pensées de l’aube. Pourquoi ne me reviennent-ils pas à l’esprit dans la journée, clairs et précis, ces mots que je redis dans mon demi-sommeil, quand la nuit s’apprête à céder devant l’aube ? Une pensée heureuse, le début prometteur d’un roman, un propos lumineux et sage comme un aphorisme, un vers à garder en mémoire ; tout s’évanouit dans la veille diurne. Il va falloir me résigner à une pratique peut-être seulement rêvée de la littérature. Je pourrais me réveiller complètement, allumer la lampe, prendre une plume et du papier. Mais cela ne servirait à rien, je ne crois pas à la permanence de ces ombres obscures, au contraire, il me semblerait poursuivre des fantasmes. C’est pour cela que je n’ose même pas préparer plume et papier sur ma table de chevet. Et pourtant je ne me soustrais pas à l’exercice de répétition de ces voix indéchiffrables, même si je suis conscient de l’impossibilité de graver dans mon esprit tout ce qui va s’évanouir, à peine aurai-je ouvert les yeux ; car elles ne viennent jamais seules, mais précédées et accompagnées d’un cortège de pensées, d’impressions, de sensations, auréolées de circonstances oniriques impossibles à reconstituer. De sorte que ce qui était parfaitement clair devient indicible. Possible que dans cette évidence inaccessible, errent, libres et fortes, les pensées poétiques. Quand je m’éveille, je me retrouve sur un seuil infranchissable, là où j’ai longuement hésité, comme vers une porte ouverte sous l’effet de l’aube, je commence alors à parler, à parler encore, durant tout le jour je me fatigue à bavarder. Les mots ont perdu leur assurance, ce ne sont plus ceux d’avant, et la porte reste fermée. Puis, tard le soir, épuisé, je vais au lit. Dans le demi-sommeil qui précède l’endormissement, je me console à la pensée que dans quelques heures les mots viendront à moi et que je m’exercerai encore à les retenir pour qu’ils ne s’évanouissent pas aux premiers rayons du soleil.