di Gianluca Virgilio
Barcelone est le contraire d’une ville naturelle. Le long des rues circulent des dizaines de milliers de jeunes sans autre étiquette que celle d’être « jeunes », de sorte qu’on peut dire que Barcelone est un grand conteneur de jeunes ; une masse insignifiante et sans projet, incapable d’aucune nouveauté, tout juste capable de s’exhiber soi-même.
Un soir, sur la Rambla du côté du monument dédié à Christophe Colomb, quelque chose attire soudain l’attention des passants : un jeune homme d’une vingtaine d’années avance en braillant au milieu de la rue, complètement nu, créant autour de lui le vide d’un espace scénique autour duquel s’agglutinent les curieux qui s’empressent de faire une photo-souvenir de cet événement insolite. Une blague d’étudiant, une folie, une exhibition provoquée par l’excès d’alcool ou de drogue. La vue de ce jeune homme qui s’exposait nu me parut parfaitement résumer la condition des jeunes venus à Barcelone de tout le monde occidental pour y célébrer leur rite de masse, c’est-à-dire se retrouver ensemble dans le but à peine caché de se mettre en scène, de s’offrir au plus offrant dans leur nudité, comme viande de boucherie du consumérisme moderne.
Un gardien vêtu de vert lui ordonna de se rhabiller et le jeune nudiste, aussi doux qu’un agneau, remit son caleçon.
Ce nudiste de Barcelone m’a rappelé un épisode de ma jeunesse, survenu il y a donc environ quarante ans. La scène, c’est la rue face à la plage de Lido Conchiglie, un matin d’été. Mes amis et moi avions fait la connaissance de quelques filles du Nord qui étaient là en vacances et nous allions nous baigner ensemble. Je ne sais à la suite de quel absurde pari – mais sûr qu’on parlait alors de féminisme et d’émancipation de la femme – l’une d’elle ôta son pull, restant seins nus au milieu des gens stupéfaits. Elle avait gagné son pari, fait preuve de courage et d’émancipation, tant et si bien que nous, plus qu’embarrassés nous lui avons demandé de se couvrir aussitôt. Aujourd’hui, je ne cherche pas à savoir qui de nous était vraiment émancipé ou pas, je m’interroge plutôt sur la différence entre le geste de mon amie et celui du nudiste de la Rambla. Mon amie s’était dénudée pour affirmer un principe, elle était en pleine possession de ses facultés mentales, nous savions que son geste était l’aboutissement d’un raisonnement, l’affirmation d’une supériorité psychologique face à nous provinciaux, la manifestation de sa liberté de femme. Le nudiste de la Rambla au contraire n’en pouvait plus, il avait sans doute bu ou fumé, il s’était dénudé pour s’exhiber, se faire prendre en photo volontairement par des touristes auxquels il n’avait rien d’autre à offrir que son corps nu. Cela aussi, dira-t-on, est une affirmation de liberté, oui mais totalement résiduelle, au-delà de laquelle il ne reste plus que la nudité cadavérique, et ce n’est certainement pas l’affirmation d’un principe que l’on retient comme important pour sa vie. Comme je l’ai signalé, le gardien n’eut aucun mal à lui faire remettre le caleçon, tout en ayant l’air de lui dire : « D’accord, tu t’es exhibé, tout le monde a vu ton corps nu, mais maintenant rhabille-toi, et continue ta route », ce qui était aussi la réaction finalement permissive des spectateurs ; mon amie de Lido Conchiglie avait au contraire suscité des réactions bien différentes, depuis les nôtres « dis-donc ! Quel courage ! » jusqu’à celles des passants « non mais t’as vu, cette dévergondée… ». Voilà, je me dis qu’il s’est passé bien des choses en quarante ans : les jeunes ont perdu l’envie de manifester pour une cause, il ne leur reste plus à montrer qu’un corps nu insignifiant.
[Traduzione di Annie Gamet]