Le gecko. En ce moment nous faisons des travaux de restructuration, il va être expulsé de son mur, celui où il a vécu ces dix dernières années, disons depuis que la pièce a été repeinte pour la dernière fois. Mais il aura tout le temps de comprendre ce qu’il se passe et de se procurer une autre demeure. Une fois les travaux finis, s’il le veut, il pourra revenir sur son mur.
Le lézard. Il rampe par saccades sur le muret, prêt à s’enfuir ; il m’a à l’œil tandis que je continue d’écrire. Si je bouge, il bouge aussi. Il se méfie de moi qui, dans ma terrible enfance, ai exterminé des centaines d’individus de cette espèce préhistorique. Il s’était peut-être fait tout petit pour échapper à l’adulte, et de ce fait il a rencontré la méchanceté de l’enfant. Il me regarde d’un œil, de l’autre, à ce qu’il me semble, il regarde du côté opposé, remuant le jabot rapidement, comme sur le point de suffoquer, le cœur battant très fort. Je recommence à écrire et quand je relève la tête, il n’est plus là.
La chauve-souris. Au soir elle volette au-dessus de nos têtes, entre la pièce et le caroubier, attirée par le néon, ou plutôt par les nombreuses proies trompées par la lumière du néon : taons, papillons moustiques, mouches, etc. On imagine facilement le massacre à chaque coup d’aile. Elle a le vol irrégulier de l’hirondelle, mais suit des trajectoires envahies de ténèbres au-dessus de la trace lumineuse du coucher de soleil.
Le doryphore. La compassion, qu’est-ce que la compassion ? Il se tient là, le doryphore, sur la feuille de l’aubergine, il mange béatement, et voilà qu’un géant sans pitié s’empare de lui, le fait glisser sur la paume de sa main et l’envoie à terre ; puis sur le petit corps doré, tombe d’en haut, d’un seul coup décisif, l’immense semelle d’une chaussure. Le doryphore n’a vu que l’enlèvement, du brouillard, puis le néant… Et moi qui écris, maintenant je comprends parfaitement ce qu’est la compassion !
Le grillon. C’est assurément par erreur qu’il est arrivé dans la pièce et maintenant il risque de faire la même fin que celle que lui réserva Pinocchio. Le grillon aime les espaces ouverts de la campagne, là où sa voix n’est jamais si agaçante ni haut perchée que dans les lieux fermés. Libre dans les arbres, caché entre les feuilles, ou se balançant béatement dans les herbes, il ne peut que susciter notre reconnaissance. Le chant nocturne de la campagne, c’est le sien, un continuum sonore, sans aigu ni grave, un trille qui berce et soulage de toute inquiétude. Toi qui détestes les donneurs de leçons, semble-t-il dire, pose le marteau et écoute-moi.
La pie. Un chasseur m’a dit qu’il n’avait d’autre raison de tirer sur une pie que celle d’essayer ses cartouches, car la chair de la pie n’est pas bonne à manger. Elle porte en elle la nature du corbeau : elle mange de la chair morte de hérissons, de chats, de chiens, de toutes les victimes de la route, elle ravit les petits sans défense et s’en nourrit. Belle et terrible, intelligente. Elle sait qu’elle peut aller dans le jardin parce que le paysan s’est éloigné. Qu’on la mette en cage, elle meurt aussitôt. Son jacassement semble un bruit de crécelle : irritant, arrogant. Il domine la campagne en toutes saisons.
Le fauconneau. Dans le ciel d’azur, immobile, les ailes déployées, il ressemble au crucifix. C’est pourquoi on le nomme « lu cristarieddhu », le chasseur superstitieux ne tire pas sur lui. En équilibre dans l’absolu, il se découpe au loin sur le vide infini. Son immobilité résulte tantôt de l’experte utilisation des courants aériens, tantôt d’un rapide battement d’aile. Il donne l’illusion du sublime, mais ne tarde pas à révéler ses intentions rapaces : il fond en piqué puis reprend soudain de l’altitude, un rongeur dans les serres.
La taupe. Le garçonnet impie d’autrefois connaissait un moyen très efficace pour débusquer lu padrefondacu, c’est-à-dire la taupe. Avec l’autorisation du paysan que la ruine du jardin mettait en colère, il remplissait d’eau les galeries souterraines jusqu’au point de les inonder totalement, obligeant le pater du fundus à venir à l’air libre. Quand la taupe aveugle pointait son petit museau hors de la terre, c’en était fini d’elle : inexorable, l’enfant frappait avec une masse, il la tuait. Puis il l’étendait sur la paume de sa main, caressait sa fourrure soyeuse, noire et luisante.
La cigale. Dès la fin du mois d’août, elle se tait, anéantie par son long chant désespéré. On voit la chrysalide vide accrochée au mur ou sur une branche du mûrier, du caroubier ou de l’olivier. Dans les villages alentour du terrain, les humains tirent les derniers feux d’artifice et dansent encore jusqu’à la nuit tombée, à l’ombre des palais et des églises, alors que la cigale a désormais cessé son chant d’été.
La fourmi. Ornella a photographié une fourmilière, autour et à l’intérieur de laquelle se voyait une grande activité. Quelques fourmis se seraient-elles aperçu de sa présence ? Non, vraiment je ne le crois pas, puisqu’elles ont toutes continué à se déplacer comme si Ornella, gigantesque, n’était pas une menace pour elles. Survient Sofia qui par inadvertance piétine la fourmilière : je suis sûr que pour les fourmis cet événement catastrophique fut considéré comme l’égal pour nous d’une calamité naturelle, l’équivalent d’un tremblement de terre dévastateur, la chute d’un astéroïde, un tsunami, etc., événements naturels dont nous ne savons pas bien à qui attribuer la responsabilité. La fourmi vit dans son tout petit monde, elle est prévoyante, mais elle ignore tout de ce qui se passe hors de son horizon.
Le rouge-gorge. Quand arrive novembre, arrive aussi le rouge-gorge dans la campagne salentine. Il vient de l’Est pour hiberner, des forêts de Russie et d’Ukraine, il s’est attardé dans les bois des Balkans avant de traverser l’Adriatique. Il n’est aucunement intimidé par la présence de l’homme. Au contraire, il tient à se montrer : il met sa petite gorge en avant et chante, c’est un plaisir de l’écouter. Parfois, les apparences l’induisent en erreur, il va alors se cogner contre les vitres d’une fenêtre fermée. Mais quand il est sur le caroubier, il en fait des récits d’outremer !
La huppe. Son apparition solitaire dans la campagne a le goût rare de la gentillesse. On la reconnaît de loin à son plumage bigarré et à sa crête en forme de couronne. Son apparition est si inattendue qu’elle provoque la stupeur et on s’estime très chanceux quand on la voit. Elle n’a rien de sombre ni de funèbre, comme le laisse entendre Foscolo, elle est fraîche et légère telle la damoiselle léopardienne, telle une jeune reine. Quand elle s’envole et disparaît derrière les arbres, on voudrait l’avoir photographiée, mais on ne s’y est pas pris à temps.
L’hirondelle. Les après-midis de fin de printemps ou d’été, au coucher du soleil, elle vient tournoyer là où le paysan arrose les arbres et fait s’élever de la terre les insectes ignorants, lui préparant ainsi le dernier repas de la journée. Autrefois, dit papa Pasquale, il y avait tellement d’hirondelles que le soir les roseaux du canal de Sirgole pliaient sous leur poids, oscillant sous le vent. Les nuits de pleine lune, on aurait dit des feuilles endormies dans les ténèbres.
[Traduzione di Annie Gamet]