di Gianluca Virgilio
Plus que du livre Gioventù Salentina, je voudrais parler de la nécessité qui lui a donné naissance.
Cette nécessité était et reste celle de connaître les jeunes. Je vis dans l’école depuis de nombreuses années, depuis que je suis né, pourrais-je dire, et je suis au contact des jeunes depuis toujours. Je vieillis, c’est un fait, je m’éloigne donc de plus en plus du monde des jeunes et à mesure que le temps passe je risque de les connaître de moins en moins. Ce n’est pas la faute des jeunes, c’est la mienne. La vie d’adulte m’éloigne d’eux lentement, inexorablement. Je crois que cela arrive à chacun de nous : avec l’âge, nous perdons notre jeunesse et avec elle le contact avec les jeunes. Nous ne communiquons plus avec eux, nous ne reconnaissons plus leur langage, fait de mots et de gestes, de signes et de comportements, c’est comme cela qu’un beau jour nous nous retrouvons à faire la morale. « De mon temps, tout cela n’arrivait pas », « Moi quand j’étais jeune, ceci était inadmissible, cela était inacceptable ». Ainsi, dès qu’il vieillit, le jeune se transforme en censeur. Mais est-il vraiment inévitable que cela arrive ?
Moi je crois que non. Si j’ai écrit ce livre – je pourrais d’ailleurs dire la même chose de Vie Traverse, où ce n’est pas par hasard que j’évoque mes promenades non seulement avec mon père mais aussi avec mes deux filles, et je suis donc dans le rôle de jeune par rapport à mon père et d’adulte par rapport à mes filles – c’est parce que j’avais en tête, comme je l’ai encore maintenant, de me prouver à moi-même que cela n’est pas inévitable, qu’on peut bien vieillir en devenant jeune une « seconde fois » comme le veut Kierkegaard que j’ai cité en exergue à Gioventù Salentina, et ce n’est pas un hasard : « Il est facile d’être enfant et d’être jeune quand on l’est. Mais l’être la seconde fois, c’est ça le hic ».
Que veut donc dire « être jeune la seconde fois » ? Cela veut dire être en état de conserver toute l’ingénuité, la liberté, la générosité, la passion de nos dix-sept ans ; continuer à éprouver envers le professeur barbu, le politique intrigant ou le manipulateur intéressé le même ennui et le même dégoût que nous éprouvions quand nous avions cet âge-là et avant que l’école ne nous ait déclarés bacheliers.
Qu’est-ce donc que la jeunesse et que sont les jeunes ?
Je suis de plus en plus convaincu que les jeunes sont une invention toute moderne, qu’ils n’existent pas, si ce n’est dans la représentation qu’en donnent les adultes comme tranche d’âge transitoire qui va vite passer et finir, comme passe et finit une maladie, une fois devenus adultes. Je pense de plus en plus que tout cela est absolument faux, et que la jeunesse n’est qu’un âge de la vie comme tous les autres ; la plénitude des facultés physiques et intellectuelles propres aux jeunes, dépourvus cependant de moyens et de ressources, s’oppose à la vie des adultes qui n’ont de force que l’arrogance, d’intelligence que l’intérêt, mais sont abondamment pourvus de moyens et de ressources, qu’ils entendent se garder pour eux, tout au moins pour s’assurer une vieillesse aisée. Les adultes ont reçu en héritage et consolidé une société de consommation dans laquelle le jeune n’est reconnu qu’en tant que parfait consommateur. Par conséquent, durant son temps libre, c’est à dire quand il ne fréquente pas l’école, la salle de sport, la piscine, le conservatoire de musique, de danse, tous lieux de réclusion eux aussi et de contrôle social, on l’enferme dans ce qu’on appelle des caseddhe, d’où il n’est autorisé à sortir que pour se rendre dans les magasins, les centres commerciaux, discothèques, paninothèques, brasseries etc., où les jeunes sont dans l’impossibilité d’élaborer une quelconque culture originale, car ils sont totalement absorbés par la culture qui envahit ces lieux, la culture de la consommation. La caseddha, comme elle se présente, consacre la séparation entre le monde des adultes (les parents qui paient le loyer) et celui des jeunes (leurs enfants), et reproduit à petite échelle la maison d’origine des parents. La caseddhaest un espace privé dans lequel aucun projet culturel (encore moins politique ou protopolitique) n’est en mesure de se développer. Il n’y a pas de culture collective quand il y a ségrégation. La caseddha est le lieu de la séparation convenant aux jeunes, puisqu’ainsi ils occupent un espace loin des adultes emmerdeurs… , et convenant aux adultes, qui même un peu inquiets, se débarrassent des jeunes, tout en sachant où ils sont, c’est à dire sachant trouver le lieu le plus propice pour les surveiller, façon d’apaiser au moins leur conscience, leur mauvaise conscience d’être incapables de définir un endroit où se retrouver avec eux selon des modalités communes. En dehors de la caseddha, comme on a dit, le jeune n’est qu’un consommateur passif de marchandises dans les centres commerciaux et de notions culturelles à l’école. Compte tenu de ces données, je ne m’étonne pas du tout de voir apparaître à l’horizon de nombreux signes de malaise : consommation d’alcool, drogue, violence à l’école, violence individuelle et collective contre les biens et les personnes et contre soi-même. Après les accidents de la route, le suicide est la seconde cause de mortalité des jeunes dans la tranche d’âge comprise entre quinze et vingt-cinq ans.
Quels sont les remèdes ? Je n’en connais pas. Mais j’ai la certitude qu’il nous faut, tous ensemble, jeunes et adultes, élaborer une nouvelle culture collective – c’est ce dont parle Umberto Galimberti dans son livre L’ospite inquietante, Il nichilismo e i giovani édité chez Feltrinelli en 2007 -, une culture qui unisse les âges au lieu de les séparer. Mais notre société semble aller dans la direction opposée. En voici trois exemples tirés de la vie de notre ville.
Il y a quelques jours, j’ai assisté à la cérémonie d’attribution du Prix de Poésie du cercle « Athena » de Galatina, fruit de l’enthousiasme de Rino Duma. Eh bien ! Nous avons tous constaté l’absence totale des jeunes. Il en va de même pour cette belle initiative qui doit tant à Zeffirino Rizzelli – je parle de l’Università Popolare, où dans le passé ont eu lieu des débats sur de nombreux thèmes d’actualité, et pas seulement de littérature ancienne et moderne, de pédagogie, sociologie, archéologie, etc. -, elle présentait et présente encore le défaut majeur de ne pas accueillir les jeunes, qui en restent systématiquement exclus. Que dire enfin de la Bibliothèque municipale, qui devrait être un lieu de rencontres et d’élaboration culturelle, mais continue à être considérée comme un dépôt de livres. Si l’on avait agi en faveur de l’intégration de la médiathèque dans la bibliothèque, le cours des choses en aurait été changé, nous aurions par là-même encouragé les jeunes à se rapprocher du livre et pas simplement de l’ordinateur, dont il est simpliste de penser que, grâce à lui, on puisse véhiculer une nouvelle culture collective qui ne soit pas celle des blogs et des communautés virtuelles. À Galatina, on manque manifestement d’un endroit permanent, qui échappe aux humeurs et à la versatilité des administrations, dans lequel cette nouvelle culture collective puisse être mise en oeuvre. Ce serait bien que les divers âges de la vie, libérés des stéréotypes et des préjugés qui pendant trop longtemps les ont tenus séparés, se retrouvent ensemble conscients qu’une seule vie est donnée à tous – jeunes et moins jeunes -, et qu’il vaut mieux la vivre ensemble en nous rencontrant plutôt que séparés, armés les uns contre les autres, en nous regardant en chiens de faïence.
C’est de cette nécessité qu’est né le livre d’entretiens que j’ai intitulé Gioventù salentina, tout en le dédiant à la jeunesse de Galatina. J’ai donné ce titre inclusif et plus large, certes pas pour témoigner d’une centralité galatinaise qui ne peut correspondre qu’à une observation géographique, mais parce que les jeunes de Galatina, je crois, n’ont pas eu un mode de vie trop différent de celui des autres jeunes du Salento. Dans ce livre, cinq de mes amis et moi-même racontons ce qui se passait à Galatina quand nous étions jeunes de la fin des années soixante au milieu des années quatre-vingt-dix environ. Eh bien ! Nous n’étions pas très différents des jeunes d’aujourd’hui. Mais nous réagissions autrement, nous avions un je ne sais quoi de sauvage et de moins apprivoisé. Trente années ne sont pas passées en vain, contrairement aux apparences quand on pense aux motifs de malaise qui n’ont pas du tout diminué et qui ont peut-être même augmenté. Parce que, durant toutes ces années, rien n’a été fait, si ce n’est des tentatives avortées d’élaborer cette nouvelle culture collective dont j’ai parlé.
Aujourd’hui, je pense que ma génération a un devoir : après le constat de ce que nous avons été – c’est la fonction que je donne au livre Gioventù Salentina – il nous faut tendre la main aux jeunes d’aujourd’hui pour leur éviter de souffrir des mêmes peines, de répéter les mêmes erreurs qui ont causé la mort prématurée de beaucoup de mes contemporains. Si nous savons faire tout cela, les jeunes se développeront bien, et à nous il pourrait nous arriver quelque chose de très difficile et précieux qui n’est certes pas donné à tout le monde, « être jeunes » pour « la seconde fois ».
(2007)
(Traduzione di Annie et Walter Gamet)