di Gianluca Virgilio
C’est de cette époque que datent mes promenades avec papa, promenades du dimanche matin, dans la campagne autour de Galatina. Les premières fois que j’eus le droit de conduire la voiture, j’accompagnai mon père au bar Ascalone, il y passait deux heures à converser avec des amis et à lire le journal, j’allais le rechercher vers midi à l’heure du déjeuner et, pour lui montrer mon habileté à conduire, je lui imposais un large détour avant de rentrer à la maison. Sa fréquentation du bar Ascalone, pour moi, se perd dans la nuit des temps, quand Andrea, l’actuel propriétaire, était encore jeune apprenti et que lu Totu, son père, assurait la direction avec sa soeur Lucia à la caisse en alternance avec sa soeur Nena. Famille de pâtissiers, les Ascalone, avec moult diplômes dans de beaux cadres accrochés aux murs, datant du siècle passé, quand la maison Ascalone tenait lieu de cuisine annexe à la riche bourgeoisie agraire de la ville et de tous les environs. Pendant les deux heures dominicales qu’il passait dans le bar, assis près de la caisse, mon père conversait surtout avec les « vieux » Ascalone et de temps à autre avec un client. Je restais quelquefois avec lui, mais je ne tardais pas à m’ennuyer et l’envie me prenait de franchir le seuil du laboratoire où ne pouvaient entrer que de rares élus : ceux qui y travaillaient et quelques amis de lu Totu. Là, parmi les casseroles encore tachées de crème fraîche ou pâtissière et différents ustensiles, entre le plan de travail et le four toujours allumé d’où émanait une chaleur asphyxiante en toutes saisons, entre deux discussions, lu Totu préparait les délices qui allaient conclure le déjeuner dominical de nombreux concitoyens. C’est vers midi, dès la fin de la messe de onze heures, la plus suivie, à l’église principale voisine, que de nombreux fidèles se répandaient dans le bar contigu au laboratoire ; là, dans un petit nuage de fumée de plus en plus dense, ils attendaient d’être servis : choux à la crème, pâtes brisées, palets de dame, fruttoni et fruttini, arlequins et strudels, pour la jouissance du palais gourmand des Galatinais ; et pendant ce temps-là, ils parlaient de tout et de rien, s’échangeaient des politesses comme on le fait entre personnes qu’une nécessité supérieure amène à se rencontrer, au moins une fois par semaine sur terrain neutre, tout en sirotant l’habituel apéritif agrémenté d’olives et de divers amuse-gueule propres à favoriser par la suite une dégustation plus intense du déjeuner dominical. Dans un tel état de plénitude, qui diable allait oser rompre le charme ?
« Papa, suppliais-je, on y va ? » Alors, s’appuyant sur sa canne et sur moi, mon père saluait tout le monde et, avec l’Unità dans la poche de son pardessus, il prenait congé du bar Ascalone, non sans m’avoir confié au préalable le petit plateau de gâteaux à rapporter à la maison. Après la disparition de la vieille génération des Ascalone, les locaux ont été restructurés, le service de bar supprimé et la pâtisserie a adopté un style mi-Liberty mi-Empire. Dans le même temps, mon père a pris de l’âge et renoncé à sa fréquentation dominicale de la pâtisserie d’Andrea, mais pas aux gâteaux. C’est pourquoi, dans notre promenade du dimanche, pour respecter le rituel, on s’arrête encore devant la pâtisserie et c’est moi qui vais chercher les gâteaux commandés par mon père à Andrea la veille au soir par téléphone avec force salutations.
(Traduzione di Annie et Walter Gamet)
(2002/2014)