di Gianluca Virgilio
À peine avais-je eu le temps de me présenter que déjà, une élève du premier rang levait la main pour me demander la parole et tout me raconter. Le chef d’établissement, une demi-heure auparavant, m’avait juste dit : « La mission qui vous est confiée est délicate », mais seulement après m’avoir serré la main, ce qui signifiait qu’il tenait pour acquis, sans m’expliquer le sens de ses propos, que j’accepterais la charge ; j’avais donc pensé que, bien sûr, être professeur est une affaire délicate, qu’il faut beaucoup de patience avec les adolescents, pas question d’improviser ! Mais quand j’ai donné la parole à la fille du premier rang et que, dans la classe devenue muette, elle m’a tout raconté, je me serais alors mis à rire, si le silence unanime de trente élèves ne m’avait convaincu qu’il n’y avait guère matière à plaisanterie.
Ce que l’élève a raconté, je m’empresse de vous le dire : la semaine précédente, pendant le cours d’histoire, tandis que le professeur était en train d’expliquer la bataille de Salamine avec son bel et intarissable flot de paroles habituel, il avait soudainement buté sur le mot « tri-rè-me », il avait bredouillé, sans parvenir à prononcer le mot en entier, puis, de façon incompréhensible, pouf, il avait disparu, évanoui, dissous dans le néant, volatilisé ; et la classe tout entière s’était retrouvée sans professeur d’histoire.
« Mais c’est une histoire de fous ! dis-je, m’en prenant aussitôt à la fille du premier rang. Vous voulez vous moquer de moi ? ajoutai-je tout en entendant s’élever un léger bourdonnement de désapprobation dans la classe.
– Non, non, Professeur, personne ne veut se moquer de vous. Il y a ici trente élèves témoins de la disparition. Et en effet, sur les bancs, calmes et graves, les trente étaient tous là, à acquiescer.
– Votre professeur était sans doute un prestidigitateur, un illusionniste, un nouveau Copperfield ; il sera réapparu immédiatement après, j’imagine.
– Non, Professeur, il a disparu et jusqu’à maintenant il n’est plus réapparu.
– Un peu de sérieux, jeunes gens ! Vous voulez me faire croire que je remplace un être mystérieux disparu soudainement, devant vous, sans laisser de traces ? »
C’est alors que la porte s’ouvrit et qu’apparut le concierge. Il apportait une circulaire que j’allais devoir lire et signer. Il traversa la salle pour rejoindre l’estrade en regardant autour de lui, comme pour comprendre ce qu’il se passait. En fait, comme j’allais l’apprendre tout de suite après, il connaissait bien la raison de ce profond silence. En effet, il me dit : « Ils vous ont tout raconté, n’est-ce pas ?
– Qu’avaient-ils à me raconter ? demandai-je, pour le mettre à l’épreuve.
– La disparition du professeur.
– Oui, oui, ils m’ont tout dit, ces jeunes sont d’humeur à plaisanter…
– Prenez-les au sérieux, Professeur, ne les sous-estimez pas. D’ailleurs, ne voyez-vous pas comme ils sont silencieux ? Mais il est étrange que le proviseur ne vous en ait pas parlé. »
À peine avait-il évoqué le chef d’établissement que celui-ci apparaît dans l’encadrement de la porte. Les élèves se lèvent et moi je le salue, l’invitant à s’avancer.
« Non, non, me dit-il, continuez donc, je voulais juste m’assurer que tout se passe bien.
– Oui, tout va bien. Les élèves m’ont accueilli avec une farce dans laquelle ils ont même impliqué d’autres personnes, dis-je, faisant allusion au concierge.
– Je comprends. Ils vous ont informé de la disparition du professeur que vous remplacez.
– Ne me dites pas que, vous aussi, vous vous prêtez au jeu…
– Non, Professeur, vous n’avez pas compris. Personne ici ne vous fait de farce ; je vous l’ai dit, la mission est délicate. Ce que l’on vous a raconté est absolument vrai. Regardez ces élèves : à leur silence, vous pouvez constater à quel point ils sont encore perturbés. Une disparition de ce genre est inexplicable, elle ne s’est jamais produite dans aucune école au monde.
– Je le crois bien, répondis-je, d’une voix qui commençait déjà à s’altérer, me disant en mon for intérieur que les plaisanteries les plus courtes sont toujours les meilleures.
– Tranquillisez-vous, Professeur, vous pouvez toujours décider que nous vous avons raconté des histoires et faire vos cours normalement, comme si de rien n’était ; j’espère néanmoins que vous ne renoncerez pas à cette mission, car vous seriez à vrai dire le cinquième remplaçant à partir, alors que les élèves ont besoin d’un professeur d’histoire.
– Restez, Professeur, restez, dirent quelques élèves parmi lesquels j’entendis la fille du premier rang. »
J’étais abasourdi, mais assez lucide pour comprendre que le proviseur avait délibérément omis de préciser la nature de la mission délicate, selon sa définition, pour me faire entrer dans cette classe et me mettre pour ainsi dire devant le fait accompli. J’avais d’ailleurs besoin de ce travail, je ne pouvais y renoncer. Signant ma propre condamnation, je dis : « Soit, je ferai comme si de rien n’était, je serai votre professeur d’histoire. »
À cet instant, je vis tous les visages se rasséréner : tous arborèrent un large sourire, le chef d’établissement, le concierge, les trente élèves et à leur tête la fille du premier rang. Ils étaient tous visiblement contents. Le silence irréel qui avait jusqu’alors régné dans la classe se mua d’abord en un léger bourdonnement d’approbation, puis en un babillage étouffé et déjà gênant – à ce moment le proviseur, suivi du concierge, s’esquiva rapidement et ferma la porte derrière lui sans même prendre congé –, le babillage se transforma en bavardage, enfin tous parlèrent à voix haute, chacun cherchant à couvrir celle des autres. J’eus tout juste le temps de m’étonner de cette métamorphose, l’attribuant d’abord à la joie des jeunes d’avoir enfin un professeur d’histoire, mais m’apercevant aussitôt après qu’il n’en était absolument rien. En effet, je tentai de me faire entendre dans la classe en haussant le ton de la voix, j’ordonnai à plusieurs reprises de faire silence, je finis même par le dire en latin : « Si-len-tium ! », mais justement, tandis que je cherchais à prononcer ce mot – le mot fatal pour moi ! – je bafouillai, bredouillai, sans réussir à le dire d’un trait, tels étaient les hurlements qui s’élevaient d’un bout à l’autre de la classe. Non seulement tous les élèves criaient, mais tous me tournaient le dos avec une indifférence qui n’avait rien d’effronté ni d’affecté.
Je compris alors que tout ce que l’on m’avait raconté était vrai et que, moi aussi, tout à coup, butant sur un mot, j’avais disparu.
(Traduzione di Annie et Walter Gamet)
Bellissima storia, ottima la traduzione
Grazie, caro Giuseppe. Il merito è dei miei amici-traduttori francesi, che sanno rendere bella ogni mia prosa.