di Gianluca Virgilio
Helèna est au service de mon père, elle a une soixantaine d’années et vient d’un lieu inconnu de la campagne roumaine, au grand dam des femmes de ménage d’ici, qui ne trouvent plus de travail. Elle est toute petite, avec des cheveux bouclés et des dents en or, produit de la fusion de son alliance et d’une petite chaîne, cadeau rituel chez les Grecs orthodoxes ; elle parle une langue inconnue, dans laquelle je distingue difficilement quelques mots de notre ancien latin très semblables à notre dialecte, et suffisants pour nous comprendre dans la vie commune. Elle a parcouru trois mille kilomètres en bus pour arriver jusqu’ici, vêtue d’un pantalon, d’un tricot et d’une paire de chaussures usées. À la main, un cabas contenant peu de choses. Au bout d’un voyage de trois jours, on est venu la prendre à Lecce pour la conduire sur la place de Galatina, là où je l’ai rencontrée un mercredi après-midi, toute hébétée dans un groupe de compatriotes. Il m’a semblé comprendre qu’on lui disait de ne pas s’inquiéter, de toute façon elle allait trouver rapidement un travail, et elle l’avait même déjà trouvé, vu que j’étais là à la regarder en pensant à quel point elle ressemblait aux femmes de jadis dans nos villages. Le lendemain après-midi, elle était chez nous et caressait la tête de mon père, voulant lui faire comprendre qu’avant toute chose elle allait s’occuper de lui, et il en fut ainsi.
Helèna est toute petite, mais très robuste. Le jardinet de la maison que ma mère cultivait autrefois et qu’après sa mort les mauvaises herbes avaient envahi est nettoyé et bêché, il y pousse de nombreuses plantes, et avec l’arrivée du printemps, on y voit aussi les fleurs ; la maison est soignée et parfumée de frais, et à notre retour d’école, la table est toujours mise. Quand il fait beau, Helèna pousse le fauteuil roulant pour une sortie au jardin public, puis elle rentre au bout d’une heure et regarde la télévision avec mon père. Elle s’assoit sur le canapé, là où s’asseyait ma mère, elle fait ses dentelles à l’aiguille qu’elle offre ensuite à Ornella, mon épouse ; à la fin de la journée, mon père sort de son bureau et regarde la télévision en sa compagnie. Le mercredi et le dimanche après-midi, Helèna va se promener deux trois heures avec ses amies : mon père reste seul et l’attend avec une certaine anxiété, regardant l’horloge. Le centre-ville fourmille de Roumaines, Polonaises, Ukrainiennes, des femmes de trente à soixante ans qui forment des groupes et se promènent entre les places San Pietro, Fortunato Cesari et la villa de la Stazione, en passant par la place Alighieri, tandis que des hommes du crû se montrent de temps en temps en voiture ou à moto en quête de loisir ou de compagnie. Si ces femmes sont venues ici pour cinq ou six cents euros par mois travailler vingt-quatre heures sur vingt-quatre, c’est vraiment qu’à l’Est de l’Europe il a dû se passer quelque chose de terrible dont nous savons bien peu et dont nous profitons actuellement sans trop de scrupules. Personne ne les a contraintes, bien sûr, elles seront libres de partir quand elles le voudront, qu’on n’aille pas dire que dans l’Europe nouvelle, les personnes ne circulent pas comme les marchandises.
Le mari d’Helèna est mort en décembre dernier et ce n’est qu’en mars après avoir touché son mois, qu’elle a pu payer la pierre tombale dans le cimetière de son village. Avec le prochain salaire, elle paiera une partie des soins de sa fille qui souffre des reins. Quand elle regarde ma fille Sofia en souriant, je sais qu’elle revoit sa petite-fille restée en Roumanie à qui elle téléphone chaque dimanche. Quand retournera-t-elle, elle ne le sait même pas elle-même, et de cela aussi elle nous fait la grâce.
(2008/2013)
(Traduzione di Annie et Walter Gamet)