Une cité comme la nôtre, belle et antique…

di Gianluca Virgilio

Marcher dans les rues de la cité, sur l’asphalte, le pavage en briques des trottoirs et dans le centre historique, le long de voies ouvertes entre des coulées de béton qui vous enferment de toutes parts – le ciel est haut, il est pénible de tenir longtemps la tête levée – , cela signifie faire l’expérience de l’amour et du désamour des hommes, prendre conscience de leur changement d’avis dans un mur démoli puis reconstruit, avoir sous les yeux dans une maison bien entretenue la preuve de leur application et dans une abandonnée celle de leur négligence, de leur constance ou de leur inconstance ainsi que, souvent, de leur humilité ou de leur arrogance. Un édifice peut être le fruit d’un amour profond ou celui de l’ambition et de la vanité, de l’égoïsme et de la cupidité, il peut être un signe ostentatoire de pouvoir ou simplement un refuge face aux excès des hommes et du monde. Marcher dans les rues de la cité, c’est apprendre quels sentiments prévalent dans notre vie à tous.

Nous avons beau penser que la cité ne change jamais, nous ressemblons à cet homme qui, après un sommeil de quatre-vingts ans, ne comprenait plus la langue de ses concitoyens. Je me rappelle mon père qui, à la fin de sa vie, peinait à reconnaître sa ville. Chaque génération modifie l’aspect de la ville où elle est née et où elle a œuvré, démolissant et reconstruisant, souvent restaurant, ne laissant jamais les choses comme elle les a trouvées. Nous pouvons donc nous demander ce que notre ville garde d’ancien.

Les hommes sont incapables de laisser les choses dans l’état où ils les ont trouvées à leur naissance, parce qu’ils ne supportent pas de les voir se décomposer et mourir sous leurs yeux, se dissoudre sous la pluie, se désagréger au soleil de l’été. Dans cette destruction, ils perçoivent clairement le temps comme la cause de leur propre fin inéluctable. Alors ils démolissent et reconstruisent, ou bien ils restaurent et ainsi ils se croient immortels. J’en déduis que nous, dans les rues de la cité, et même dans les centres dits historiques, nous ne marchons jamais qu’entre des pierres et des briques de notre époque, comme le furent pour les chrétiens de l’Antiquité celles qu’ils prirent aux amphithéâtres païens pour édifier leurs basiliques en y gravant le signe de la Croix.

J’ai passé une soirée chez des amis dans une maison du XVIIe siècle, tout pensif à l’idée que dans cet espace clos de murs puissants avaient vécu des dizaines de générations, dont chacune avait laissé son empreinte, qui perçant une nouvelle fenêtre, qui abattant une paroi pour obtenir un espace plus grand, qui couvrant de chaux d’antiques fresques, qui refaisant le dallage, etc. – autant de petites modifications de l’espace qui, ajoutées les unes aux autres, en faisaient alors une maison moderne dotée d’un bon téléviseur à écran plasma et d’une installation WiFi invisible. Que signifie alors vivre dans une maison du XVIIe siècle ? Peut-être cela signifie-t-il s’imaginer avoir une longue histoire derrière soi, en être l’héritier, une histoire vague et imprécise, de ce fait belle et aventureuse, noble également si possible, une histoire dont la fonction serait de garantir notre très lointaine origine, notre passé reculé plus ou moins flou, et cela nous donne l’illusion qu’après nous adviendra un temps très long qui conservera certainement une trace de nous…

De la même façon, nous aimons reconstruire les centres historiques à l’image d’une grande fiction en les dotant d’un récit aussi précis et circonstancié que possible, et s’il est élaboré par un érudit scientifiquement accrédité, c’est encore mieux. Une telle fiction doit être vraisemblable pour enchanter le visiteur béotien. Dans ce cas aussi, la pensée qu’on a derrière soi une longue histoire est fascinante, car en donnant l’illusion de venir de loin, elle offre la perspective d’aller loin – où, on ne sait pas, mais certainement vers une splendide destination… Ainsi avec la mise en scène d’une histoire antique scientifiquement reconstruite, s’exprime ou se représente dans une autocélébration, l’amour des hommes pour leur propre cité. De désamour il ne reste pas trace, sinon dans les périphéries urbaines qu’aucune commune ne signale sur les plans imprimés par les syndicats d’initiative et qu’on peut même oublier.

(Traduzione dall’italiano di Annie et Walter Gamet)

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